Troubles bipolaires: retrouver une vie active !
Parallèlement aux médicaments, une palette de stratégies peut aider au rétablissement et à la prévention des rechutes des personnes touchées par cette pathologie mentale.
Elle a, dit-elle, apprivoisé sa maladie, appris à gommer les parenthèses (comprendre : ses épisodes de dépression et d’accès maniaques). « Je suis bipolaire, mais je me place du côté de la vie. Quand on se soigne, on peut vivre à peu près normalement et être heureux comme tout le monde », témoigne Hélène Pérignon, éditrice et auteure de Je suis bipolaire mais le bonheur ne me fait pas peur (Hugo Document, 2015).
« Ne pas décrocher de la vie, c’est l’enjeu », acquiesce le psychiatre Bernard Pachoud, professeur de psychopathologie à l’université Paris-Diderot. L’un et l’autre faisaient partie des nombreux intervenants réunis le 30 mars à Paris par l’association Argos 2001, pour un colloque consacré à la bipolarité, en partenariat avec la fondation FondaMental. Depuis 2015, cette date est devenue la journée mondiale des troubles bipolaires, en hommage à la date de naissance de Vincent Van Gogh (le 30 mars 1853), lui-même atteint de cette pathologie mentale qui touche 1 % à 2 % de la population.
Débutant le plus souvent à la fin de l’adolescence, ou au début de l’âge adulte, elle se caractérise par la succession de phases dépressives et d’épisodes maniaques. Pendant ces derniers, « l’embrasement émotionnel est total », comme l’explique le docteur Marc Masson dans Les Troubles bipolaires (PUF, 128 p., 9 €). La personne est euphorique, ne tient pas en place, l’insomnie peut être totale plusieurs jours de suite. De nombreux symptômes sont décrits : désinhibition, idées délirantes, voire hallucinations.
Un maître mot : le rétablissement
« Il y a eu une prise de conscience de la relative indépendance entre l’évolution d’une maladie et le devenir de la personne. Du coup, les préoccupations se sont déplacées. L’objectif n’est plus seulement d’obtenir une rémission des crises et un soulagement des symptômes, mais de viser un réengagement dans une vie active, avec des projets personnels, professionnels », décrypte Bernard Pachoud.
« LE RÉTABLISSEMENT EST UN NOUVEAU PARADIGME DANS NOTRE SPÉCIALITÉ, QUI IMPLIQUE UNE NOUVELLE CONCEPTION DES PRATIQUES DE SOINS, DE SOUTIEN, ET MÊME DE L’ORGANISATION DES SERVICES DE SANTÉ MENTALE ». BERNARD PACHOUD, PSYCHIATRE.
Une approche qui redonne un rôle central aux patients dans le contrôle de leur existence, dans le prolongement du « nothing about us without us » (rien de ce qui nous concerne sans nous), revendiqué au début des années 1990 par des militants dans le domaine du handicap. « Le rétablissement est un nouveau paradigme dans notre spécialité, qui implique une nouvelle conception des pratiques de soins, de soutien, et même de l’organisation des services de santé mentale », insiste le docteur Pachoud.
Si les médicaments (régulateurs de l’humeur, antipsychotiques…) sont indispensables, d’autres stratégies peuvent aider au rétablissement et à la prévention des rechutes. Les approches de remédiation cognitive, qui visent à améliorer les fonctions déficitaires (attention, mémoire…) ou à trouver des stratégies de compensation, ont ainsi démontré des bénéfices sur le fonctionnement au quotidien des patients bipolaires.
Les spécialistes insistent aussi sur le rôle essentiel de l’hygiène de vie. « Même en dehors des épisodes dépressifs ou maniaques, des troubles du sommeil persistent », précise le psychiatre et chercheur Inserm Pierre-Alexis Geoffroy (Centre expert du trouble bipolaire, hôpital Fernand-Widal, APHP). Il peut s’agir de décalages de phases, d’insomnies ou encore d’hypersomnie.
Sport et alimentation
Ces patients ont souvent un sommeil moins efficace avec plus d’éveils nocturnes, une somnolence diurne. « Or, ces anomalies sont associées aux rechutes », poursuit le docteur Geoffroy, en soulignant l’hypersensibilité des personnes bipolaires aux changements de rythme, au décalage horaire, etc. Le traitement repose principalement sur des mesures d’hygiène du sommeil, parfois des médicaments comme l’hormone mélatonine. Des psychothérapies spécifiques, dans le cadre d’une psychoéducation par exemple, peuvent aussi être utiles pour stabiliser les rythmes veille-sommeil.
« L’impact du mode de vie peut être très important, confirme le psychiatre Florian Ferreri (hôpital Saint-Antoine, APHP). Concernant l’activité physique, les travaux de recherche sont hétérogènes, mais celle-ci est globalement à encourager. D’abord parce qu’une dépense énergétique combat la prise de poids souvent induite par les traitements. Ensuite, une activité quotidienne a un impact sur le moral : elle diminue la durée des épisodes dépressifs et les symptômes résiduels [présents en dehors des crises maniaques ou dépressives]. »
Quant à l’alimentation, elle peut avoir des vertus antidépressives, en « réveillant des plaisirs » et en stimulant la sécrétion de neuromédiateurs, telle la sérotonine, très impliquée dans la dépression. « L’organisme ne peut pas produire de sérotonine tout seul, mais il peut le faire à partir du L-tryptophane, un acide aminé retrouvé dans de très nombreux aliments : viande, œufs… », explique le docteur Ferreri.
Les patients bipolaires peuvent également bénéficier de programmes d’aide au rétablissement. Au Québec, l’association Revivre, créée il y a vingt-cinq ans pour des personnes atteintes de troubles anxieux, dépressifs ou bipolaires, a ainsi mis au point, avec une quarantaine d’experts, des programmes de soutien à l’autogestion.
Des « clubhouses » pour l’entraide
Pendant douze semaines, en groupes de 10 à 15, les participants apprennent à mieux connaître leur maladie, les signes avant-coureurs des crises, le rôle du stress… Et ils constituent un plan d’autogestion. « L’idée, c’est de se forger une boîte à outils pour gérer le quotidien, de composer avec sa maladie », résume Jean-Rémy Provost, directeur général de l’association Revivre, dont la conjointe est bipolaire. M. Provost est à la recherche de relais pour développer ces stratégies en France.
Autre modèle associatif original, les « clubhouses » sont des lieux d’accueil et d’entraide pour favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes avec des troubles psychiques. Environ 350 clubhouses sont recensés à travers le monde, dans une cinquantaine de pays. En France, le premier lieu de ce type a ouvert ses portes en 2011, à Paris. Une évaluation est en cours.
Patients, médecins et chercheurs ne manquent ni d’idées ni d’énergie. Ils manquent de moyens. En France, seulement 4 % du budget de la recherche biomédicale sont alloués aux maladies mentales.
in Le Monde 04 04 2016
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