Imagerie médicale et maladies psychiatriques
Les maladies psychiatriques ne sont plus invisibles
IMAGERIE MEDICALE. Longtemps, les maladies psychiatriques se sont définies, par opposition aux maladies neurologiques, par l'absence de lésions cérébrales. Mais les progrès récents de l'imagerie montrent que ce n'est pas si simple.
Et si la vieille distinction entre maladies neurologiques et maladies psychiatriques tendait à s'estomper ? Jusqu'ici, le tri était simple, et la frontière indiscutée. Dans le premier camp, celui des maladies neurologiques (maladie d'Alzheimer, maladie de Parkinson, sclérose en plaques…), la présence de lésions cérébrales, à l'instar des plaques séniles qui s'accumulent entre les neurones des malades d'Alzheimer. Dans le second, celui des maladies psychiatriques (schizophrénie et autres formes de psychose, troubles obsessionnels compulsifs, dépression et troubles bipolaires, addictions…), l'absence de telles lésions.
Tel était à grands traits le tableau qui prévalait depuis la séparation de la neurologie d'avec la psychiatrie, à la fin du XIXe siècle, sous l'influence du grand Charcot. Mais les progrès considérables de l'imagerie cérébrale depuis une dizaine d'années sont en train de rebattre les cartes : les maladies psychiatriques ne sont pas, elles non plus, sans avoir un support organique. Toutefois, « alors que les lésions du cerveau sont visibles à l'oeil nu chez les patients neurologiques, la détection de modifications cérébrales chez les patients psychiatriques nécessite une analyse informatique et statistique des images », précise le pédopsychiatre Jean-Luc Martinot, directeur du laboratoire Imagerie en psychiatrie (CEA/Inserm/Université Paris-Sud).
Même s'il demeure globalement vrai que la neurologie relève plutôt de la structure du cerveau et la psychiatrie de son fonctionnement, ce laboratoire est à l'origine d'une série d'études qui tendent à prouver que la plupart des maladies psychiatriques ont aussi une dimension touchant à l'architecture du cerveau. L'une des dernières en date, récemment parue dans la revue Depression et Anxiety, portait sur les dépressions résistantes aux traitements médicamenteux (qui représentent tout de même entre 15 et 30 % des cas de dépression).
L'imagerie a révélé, chez ces patients résistants, des déviations structurelles au niveau de leur système limbique, cette partie du cerveau jouant un rôle clef dans les émotions. Ce qui, note le psychiatre, devrait être de nature à changer le regard que nous portons sur ces malades : « Peut-être ne faut-il pas trop en demander aux personnes que l'on voit s'enfoncer dans la dépression malgré les médicaments, et ne pas leur dire : 'Secoue-toi !' S'ils demeurent dans l'état où ils sont, il y a de bonnes raisons à cela, des raisons tangibles. »
La dépression ne constitue pas un cas isolé. « Le résultat majeur que nous devons aux progrès récents de l'imagerie cérébrale et aux développements informatiques qui nous permettent désormais de traiter d'importantes masses de données, poursuit le directeur de recherche à l'Inserm, c'est d'avoir montré que, dans toutes les pathologies psychiatriques étudiées, le cerveau des malades présente des anomalies non seulement fonctionnelles mais aussi structurelles. »
Celles-ci peuvent se traduire de deux façons : dans le volume de la matière grise, qui contient les cellules nerveuses, et dans la microstructure de la matière blanche, qui contient les faisceaux d'axones reliant les différentes zones cérébrales entre elles. Plus modestes que les lésions massives observées dans les maladies neurologiques, ces écarts statistiques se rencontrent dans des zones qui varient d'une pathologie à l'autre, avec des recouvrements.
Dans la schizophrénie, par exemple, les modifications se situent au niveau du cortex associatif, portion du cortex cérébral impliquée dans l'intégration et le traitement des informations. Dans les tics et les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), mais aussi dans le syndrome de Gilles de La Tourette, on les débusque dans le striatum, petite structure nerveuse située sous le cortex cérébral, intervenant dans l'exécution de nos mouvements (plus exactement dans la motricité automatique). L'imagerie a aussi été utilisée pour mesurer très finement la quantité de dopamine circulant dans le cerveau de personnes dépendantes au tabac et au cannabis, mettant ainsi en lumière l'action de ce neurotransmetteur, qui active notamment notre « système de récompense », dans ces deux addictions.
Bipolarité larvée
Deux grandes techniques d'imagerie ont concouru à établir ces résultats : l'imagerie par résonance magnétique (IRM), qu'elle soit anatomique ou fonctionnelle, et la tomographie par émission de positons (TEP). Complémentaires, ces deux techniques ne fournissent pas les mêmes informations : l'IRM éclaire les chercheurs sur les volumes de matière grise et la microstructure de la matière blanche, autrement dit sur l'architecture du cerveau et son fonctionnement d'ensemble ; la TEP, elle, les renseigne sur sa biochimie. En marquant un neurotransmetteur avec un agent radioactif, il est possible de le visualiser et donc de le voir agir, même lorsqu'il circule en toutes petites quantités.
Il en va de même pour les médicaments, qui peuvent, eux aussi, être marqués à l'aide d'un agent radioactif afin de le rendre visible in vivo. La TEP a ainsi permis de comparer tous les neuroleptiques (des antipsychotiques) commercialisés en France et prescrits aux schizophrènes. Et de mettre en lumière le fait que certains neuroleptiques se fixent plus fortement que d'autres dans le striatum, expliquant les effets moteurs indésirables (tremblements, raideurs musculaires, etc.) plus ou moins forts selon les molécules. « Les recherches rendues possibles par l'imagerie cérébrale bénéficieront à l'avenir à la thérapeutique, en nous permettant de mieux comprendre comment les médicaments interagissent avec le site d'action, en nous renseignant sur les doses optimales ou en nous disant s'il existe, dans la structure ou le fonctionnement du cerveau du malade, des caractéristiques laissant présager une réponse ou une non-réponse au traitement », explique Jean-Luc Martinot.
Ce n'est pas le seul bénéfice attendu de ces progrès sur le front de la psychiatrie. Identifier, grâce à leurs caractéristiques cérébrales, les individus plus à risque que d'autres de développer telle ou telle maladie est également en passe de devenir possible. C'est notamment le cas pour les troubles de l'humeur, et en particulier la bipolarité qui se révèle le plus souvent au début de l'âge adulte, entre 18 et 24 ans. Chez certains adolescents, l'instabilité émotionnelle normale à cet âge cache en réalité une forme larvée de bipolarité : les spécialistes parlent alors de bipolarité subsyndromique, et les études ont montré qu'une proportion importante (entre 36 et 45 %) des adolescents présentant de tels symptômes infraliminaires évolue ensuite vers une bipolarité caractérisée. Or, il a été démontré que le cerveau de ces adolescents à risque présentait des variations régionales de la microstructure de matière blanche et du volume de matière grise caractéristiques et identifiables en imagerie.
Quand les schizophrènes entendent des voix
Très souvent confondue avec une dissociation de la personnalité, avec laquelle elle n'a rien à voir, la schizophrénie associe des symptômes dits « négatifs » (réduction ou inadéquation des affects, réduction de la communication, déficits cognitifs) et d'autres dits « positifs » (idées délirantes, hallucinations). S'agissant de ces hallucinations, dont les plus fréquentes sont auditives (le schizophrène entend des voix), les chercheurs ont voulu savoir si ce phénomène jusqu'ici considéré comme purement subjectif avait un substrat cérébral. L'imagerie a révélé que c'était le cas : au moment même de sa perception subjective (c'est-à-dire au moment même où le schizophrène entend une voix qui n'existe pourtant « que dans sa tête »), l'activation des régions du cerveau impliquées dans le langage - lobe temporal, thalamus, aire de Broca - augmente. Exactement comme si cette voix avait bien une réalité matérielle !
Les chiffres clefs
(Source : Fondation Fondamental.) 1,6 million de personnes en France sont atteintes de troubles bipolaires.La dépression affecte 2,5 millions de Français chaque année. On considère qu'environ 16-17 % des individus présenteront au moins un épisode dépressif au cours de leur existence. C'est entre 15 et 25 ans que les troubles psychiatriques apparaissent en grande majorité. L'espérance de vie des patients atteints de troubles psychiatriques serait réduite de 10 à 20 années. La recherche en santé mentale ne bénéficie que de 4,1 % du budget alloué à la recherche en santé.
Yann Verdo in Les Echos
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