regards de la société sur ses malades
in « pour la science » 27 janvier 2009
Psychiatrie : comment changer le regard que la société porte sur ses malades
Les réformes de l'hospitalisation psychiatrique annoncées par Nicolas Sarkozy sont inspirées par des événements spectaculaires, mais exceptionnels. Les efforts devraient plutôt porter sur le sort des malades vulnérables.
Nicolas FRANCK
Dans le discours qu'il a prononcé le 2 décembre 2008 à Antony, le président de la République Nicolas Sarkozy a évoqué une réforme du système des hospitalisations d'office, la création de nouvelles unités pour malades difficiles, l'attribution d'un budget pour créer de nouvelles chambres d'isolement dans les hôpitaux psychiatriques, l'instauration de soins ambulatoires sans le consentement du patient et la possibilité de « géolocaliser » certains patients. Autant de mesures qui méritent que l'on fasse le point sur la psychiatrie en France.
Rappelons que la loi actuelle (celle du 27 juin 1990) autorise déjà l'hospitalisation sans leur consentement des individus atteints d'une pathologie mentale qui compromettent l'ordre public et la sécurité des personnes. Les patients jugés potentiellement dangereux pour autrui (ou pour eux-mêmes) sont ainsi hospitalisés sur décision d'un arrêté préfectoral : environ 13 pour cent des malades hospitalisés dans les hôpitaux psychiatriques le sont sous ce régime.
Ils sont souvent arrivés à l'hôpital avec la police après avoir eu un comportement incongru ou agressif sur la voie publique ou à leur domicile. En pratique, ils sont soumis à une surveillance rapprochée et ne bénéficient de sorties d'essai (c'est-à-dire de permissions hors de l'hôpital) qu'une fois qu'ils ne sont plus susceptibles d'être dangereux. Au-delà de la question de l'hospitalisation d'office, il est exceptionnel qu'un malade suivi en psychiatrie commette un meurtre.
Toutefois, ce type de passage à l'acte peut être frappant pour les esprits, soit du fait de son caractère spectaculaire et macabre (à Pau, en décembre 2004), soit parce qu'il est aléatoire (à Grenoble, en novembre dernier). De plus, la majorité des crimes et délits ne sont pas commis par des personnes souffrant de troubles mentaux. En effet, selon le rapport de la Commission « Violence et santé mentale », sur 51 411 personnes mises en examen dans des affaires pénales en 2005, seules 212 ont bénéficié d'un non-lieu pour irresponsabilité mentale. Les personnes souffrant de troubles mentaux ne sont donc responsables que de 0,4 pour cent des crimes et délits.
Une criminalité faible, mais parfois aléatoire ou spectaculaire, justifie-t-elle les mesures évoquées par le président ? Peut-on dire que la population française court un risque du fait des malades suivis en psychiatrie ? Les chiffres mentionnés montrent qu'une réponse positive n'est pas justifiée.
À l'inverse, il serait souhaitable de s'intéresser davantage au sort des malades mentaux en tant que personnes vulnérables. De fait, ils sont beaucoup plus fréquemment victimes de crimes violents (environ 12 fois plus selon les statistiques) ou de vol (140 fois plus) que la population générale. L'extrême minorité de malades susceptibles d'être dangereux et qui font déjà l'objet d'une surveillance étroite en psychiatrie doit-elle occuper le devant de la scène par rapport à ceux qui ont besoin d'être accompagnés au quotidien parce qu'ils ne peuvent pas prendre correctement des décisions les impliquant ou parce qu'ils sont en difficulté pour agir ou ressentir une émotion du fait de leur maladie ?
Le problème principal de la psychiatrie n'est plus, et ce depuis longtemps, celui de la sécurité publique : dès le début du xixe siècle, la loi du 30 juin 1838 y avait mis bon ordre, en définissant les conditions d'internement en psychiatrie, jusqu'à ce qu'elle soit remplacée par la loi du 27 juin 1990. Le problème reste plutôt celui de l'intégration dans la société de personnes qui souffrent d'un handicap psychique. D'une part, il est nécessaire d'aider ces personnes pour qu'elles puissent interagir positivement avec les autres (c'est le rôle des soignants en psychiatrie) et, d'autre part, l'image des personnes atteintes d'une maladie mentale doit changer pour qu'elles soient mieux acceptées par la population.
Or un déficit crucial de communication existe pour l'instant à ce sujet. Le fait de n'évoquer la psychiatrie qu'à l'occasion d'un crime spectaculaire contribue à aggraver la stigmatisation des malades mentaux. Faire admettre la maladie mentale participe du mouvement général d'intégration des personnes handicapées, auquel se doit toute société civilisée.
Il est aisé de considérer la fraction minoritaire de malades potentiellement dangereux, qu'il faut certes continuer à prendre en charge dans les meilleures conditions possibles, mais cela ne doit pas se faire au détriment des autres malades, majoritaires en nombre. Ne communiquer que sur la dangerosité des malades mentaux est injustifié et masque leur difficile insertion sociale.
Dans ce domaine d'ailleurs, le problème des malades ayant été considérés comme dangereux est moins celui de la crise aiguë (qui est presque toujours prise en charge correctement) que leur sortie de l'établissement. En effet, même après la rémission, un retour dans leur famille n'est pas toujours possible, par exemple quand le cadre familial n'est pas compatible avec les soins requis par l'état du patient ; par ailleurs, leur intégration dans des foyers médicalisés classiques est souvent difficile. La création de foyers ayant une équipe renforcée pourrait répondre à ce besoin.
En termes de budgets à accorder à la psychiatrie, il faudrait favoriser tout ce qui pourrait améliorer les soins (par exemple, développer de nouvelles structures de réhabilitation des schizophrènes) ou la qualité de vie dans la société (en créant des foyers adaptés médicalisés ou non). Cela vaudrait mieux que des gadgets tels que la géolocalisation ou la création de services fermés ou de chambres d'isolement supplémentaires.
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