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BIPOLAIRES 64/40

ESTIME DE SOI ET TROUBLES BIPOLAIRES

Envoyée mardi 09 novembre 2021 à 19:48:56

Sophie LAUER

psychologue clinicienne, Psychothérapeute, Hôpital Albert-Chenevrier, Centre Expert.

 

Chez les patients souffrant troubles bipolaires, l'estime de soi fluctue massivement en fonction des épisodes, avec souvent la persistance d'un niveau bas en phase euthymique. Un travail de groupe permet à Marie d'améliorer son niveau d'estime de soi.

 

Marie, 31 ans, souffre d'un trouble bipolaire diagnostiqué il y a neuf ans à l'occasion d'une première hospitalisation en psychiatrie à l'occasion d'un épisode maniaque. Elle a été réhospitalisée plusieurs fois entre 22 et 28 ans pour des épisodes dépressifs majeurs ou des épisodes maniaques. Actuellement, son humeur est stable sans rechute thymique majeure depuis plus de trois ans. Marie vit en concubinage depuis trois ans. Bien que la maladie ait perturbé ses études, elle a obtenu un masters 1 de science de gestion. Depuis deux ans, elle occupe un emploi stable qui lui plaît beaucoup. Depuis quatre ans, elle est suivie par un psychiatre qu'elle apprécie. Depuis, elle comprend mieux sa maladie et prend quotidiennement un traitement régulateur de l'humeur.

Son psychiatre l'a tout d'abord orientée vers le Centre Expert des troubles bipolaires de l'hôpital, pour participer à un groupe psychoéducatif dans lequel elle s'est beaucoup investie. Elle explique avoir beaucoup appris sur sa maladie (symptômes, facteurs déclencheurs, stratégie de prévention des rechutes...). Par ailleurs, elle a accepté de se questionner et d'échanger avec les autres participants. Informée de l'existence d'un groupe de travail sur l'estime de soi, elle nous a contactés pour y participer.

 

L'IMPACT DES EPISODES

Lors de l'entretien individuel préalable, Marie nous parle de sa maladie, de son estime de soi, de ses attentes par rapport au groupe. Elle très consciente des liens entre troubles de l'humeur et troubles de l'estime de soi.

Lors des phases dépressives, il est typique d'observer une chute massive de l'estime de soi. Les patients portent un regard très négatif sur eux mêmes, ressentent une culpabilité excessive, se dévalorisent. Avant que la maladie bipolaire ne soit diagnostiquée, Marie a traversée plusieurs épisodes dépressifs pour lesquels elle n'a pas consulté. A l'époque, elle n'a pas osé en parler à ses proches par peur de leur jugement. Elle évoque par ailleurs une estime de soi pathologiquement élevée lors des phases d'excitations pouvant aller jusqu'à la mégalomanie. Si aujourd'hui, Marie reste stabilisée, elle se sent fragile, parfois anxieuse, et pense avoir une estime de soi bien inférieure à celle des autres. Marie observe l'impact de sa faible estime de soi sur différents domaines de sa vie. Au niveau professionnel, elle doute toujours de la qualité de ses cours, malgré les retours positifs des élèves et des inspecteurs de l'éducation nationale. Par ailleurs, elle éprouve souvent des difficultés à prendre la parole en présence de ses collègues, par peur d'être inintéressante ou de dire des bêtises. Elle a du mal à prendre des initiatives.

Au plan amical, elle se sens isolée. Elle peine à reprendre contact avec des amis qui se sont éloignés lors des phases dépressives, durant lesquelles elle ne donnait plus de ses nouvelles. Marie espère que la psychothérapie de groupe l'aidera à se lancer dans des projets qui lui tiennent à cœur, à se faire des amis, à améliorer ses relations interpersonnelles.

 

ESTIME DE SOI ET MALADIE

Le groupe de travail auquel Marie s'est inscrit est un groupe fermé (même participants et thérapeutes du début à la fin), d'orientation cognitivo-comportementale, hebdomadaire pendant neuf semaines. Marie y a participé avec neuf autres patients, d'avril 2013 à juin 2013.

Les deux premières séances permettent aux participants de faire connaissance mais aussi d'aborder les généralités définition, origine et fonction de l'estime de soi, et d'identifier les liens avec la maladie bipolaire.

A ce stade, Marie livre certains éléments de son histoire, qui ont contribué selon elle au développement et au maintien de sa faible estime de soi. (parents durs et sévères). Aidé par d'autres patients au vécu proche du sien, elle réalise avoir été beaucoup dévalorisée tout au long de son enfance. Comme pour beaucoup de participants, les troubles de l'estime de soi pour Maire semblent précéder le développement du trouble de l'humeur et être en partie en lien avec des attitudes parentales précoces dysfonctionnelles. Par ailleurs, avant le début de la maladie, beaucoup ont également souffert du rejet de certains de leurs proches, d'hospitalisations à répétition, de stigmatisation sociale, aggravant secondairement les troubles de l'estime de soi.

 

S'ACCEPTER

Le travail est ensuite axé autour de la thématique : « mieux se connaître pour mieux s'accepter ». Dans ce cadre, il notamment proposé aux patients de rédiger une sorte d'autoportrait, en précisant leur qualités et leurs défauts.

- Dans le premier temps de cet exercice, Marie explique s'être sentie en difficulté, et avoir eu du mal à trouver des mots pour se présenter.

- Dans un deuxième temps, nous proposons aux participants de faire une nouvelle tentative, avec quelques appuis, (liste d'adjectifs)...

- Un troisième temps consiste à inviter les patients à demander à l'un de leur proche à rédiger ce portrait.

Les premières tâches sont effectuées à domicile, puis rediscutées en séances groupales, permettant à chacun d'affiner sa vision de lui-même et de la compléter par des éléments apportés par autrui.

 

COMBATTRE LES PENSEES NEGATIVES

A partir de la troisième séance, un travail sur les pensées négatives est initié. Il s'agit de repérer les pensées automatiques et plus particulièrement de doutes t de dévalorisation, qui favorise le maintien d'une estime de soi basse. Après avoir appris à les identifier, les patients sont invités à s'entraîner à les remplacer par des pensées alternatives plus positives. Tout au long du groupe, les patients travaillent sur leur manière d'interpréter les situations et observent que les pensées qui surviennent prioritairement ne sont peut-être par les plus conformes à la réalité.Ils découvrent peu à peu qu'un travail sur ces pensées peut favoriser une amélioration de l'estime de soi, du ressenti émotionnel et du passage à l'action.

 

S'AFFIRMER

Les séances suivantes sont plus particulièrement centrées sur le rapport aux autres avec une introduction à un travail sur l'affirmation de soi. En effet, nous savons qu'il est commun d'observer un déficit d'assertivité (capacité à exprimer son point de vue sans agressivité ni soumission) chez les sujets présentant une faible estime de soi. Marie se décrit comme quelqu'un d'inhibée dans les relations sociales, prétextant de fausses excuses pour éviter certaines situations. Elle a souvent peur de ne pas être à la hauteur, d'être rejetée ou d'échouer. Au niveau personnel, Marie reconnaît se mettre en retrait, a du mal à dire non à ses amis ou à verbaliser ses envies, surtout si elles ne sont pas comptables avec celles d'autrui. Après avoir échangé avec le groupe, et bénéficié d'apports théoriques, et d'outils de communication proposés par les thérapeutes, Marie travaille deux situations en jeux de rôles, l'une sur la formulation d'un refus à son compagnon, l'autre sur une demande à son proviseur.

 

PASSER A L'ACTION

Les trois dernières séances du groupe sont consacrées à l'action ; Marie identifie clairement sa tendance à procrastiner. Elle évoque ses peurs d'échouer ou d'être mal jugée qui la conduise souvent à remettre ses projets au lendemain. Les patients du groupe s'accordent à dire que la procrastination entretient l'estime de soi basse, dans la mesure où surviennent rapidement la culpabilité et le découragement de ne pas être capable de réaliser ses objectifs. Cette attitude aurait effectivement tendance à entretenir voire aggraver les troubles de l'estime de soi.

Lors de l'avant dernière séance, nous proposons, après avoir travaillé la gestion de l'échec, à chacun des participants, de se fixer un objectif réaliste à moyen terme, d'en identifier des étapes et de s'engager dans l'accomplissement du premier sous objectif, avant la dernière séance. Lors de la dernière séance, Marie confie sa volonté de suivre des cours de dessin. (cours du soirs pour adultes).

 

JE CONTINUE D'AVANCER

Dans les quinze jours qui suivent la dernière séance, un entretien individuel est systématiquement proposé, aux participants. Marie se dit satisfaite du travail accompli. Elle explique avoir apprécié particulièrement les séances centrées sur le rapport aux autres et les jeux de rôles d'affirmation de soi, ainsi que celles consacrées au passage à l'action.

 

Pour conclure, nous proposons aux patients de nous retrouver trois mois plus tard, pour faire un point à distance de la fin du groupe et permettre à chacun d'expliquer comment s'est passée la mise en place du projet, s'il a pu aboutir et pour quelles raisons. Lors de cette séance, Marie revient sur ses progrès avec satisfaction. Elle se rend au cours de dessin qu'elle a choisi et a profité de ce projet pour recontacter une de ses amies artiste qu'elle avait perdu de vue depuis des années. Bien qu'enthousiaste, expliquant que les prises d'initiatives lui sembles de moins en moins coûteuses, et de plus en plus gratifiantes, elle conclut qu'un de ses objectifs reste de poursuivre ses efforts, notamment avec l'arrivée de l'hiver, pour consolider les bénéfices actuels dans la durée.

 

CONCLUSION

Les spécificités de la maladie bipolaire (instabilité thymique, chronicité du trouble, impact fonctionnel,...) impactent étroitement les fluctuations de l'estime de soi. Le fait de proposer un travail de groupe dédié à ces patients en phase intercritique leur permet d'approfondir ce lien et d'échanger plus librement sur des expériences de vie parfois douloureuses. Outre les bénéfices directs attendus en terme d'amélioration d'estime de soi, nous espérons secondairement que le groupe favorise le maintien d'une normothymie de bonne qualité, (moins de symptômes dépressifs résiduels entre les épisodes), et de ce fait contribue à diminuer le nombre de rechutes.

 

In Santé mentale, n° 185

 

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