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BIPOLAIRES 64/40

Témoignages de trois spécialistes

Troubles bipolaires: ce qu'en disent les médecins:

 

Diagnotic délicat, retard de prise en charge, abus de médicaments, peopolisation excessive: les médecins le reconnaissent eux-mêmes, il y a encore beaucoup de progrès à faire pour traiter correctement les troubles bipolaires. Trois spécialistes, confrontés régulièrement à des patients bipolaires, donnent leur vision de la maladie. Sans jamais perdre de vue le vécu des malades.

 

Elie Hantouche: "les labos "vendent" cette maladie". Le Dr Hantouche est psychiatre et directeur du Centre des troubles anxieux et de l'humeur (CTAH).

"Aux Etats-Unis, la prescription d'antipsychotiques a été multipliée par 10 en moins de quinze ans! Autant dire que les laboratoires pharmaceutiques "vendent" remarquablement bien cette maladie.... Rien de tel dans notre pays, c'est même le contraire: à ce jour, aucune étude épidémiologique digne de ce nom n'a été menée. La seule qui ait été faite, dans les années 1990, aboutissait à une estimation de... 0% de bipolaires. C'est un scandale!

 

Le problème, c'est que les médecins français ont une vision trop rigide de cette maladie. Ils ont tendance à penser "BP purs" (bipolaires de type 1, les anciens maniaco-dépressifs) ou rien - alors même que, on le sait, cette pathologie est beaucoup plus hétérogène. Globalement en effet, pour 40% de patients assez facilement repérables, on compte environ 60% de formes mixtes. D'où ce paradoxe: les formes "typiques", au sens des plus fréquentes, sont en réalité... les plus atypiques. Difficile, dans ces conditions, de poser un diagnostic facilement et à coup sûr. 

Dans les années 1980, les spécialistes disaient que la bipolarité commençait en général vers 30-40 ans. Aujourd'hui, on parle plutôt d'une apparition des troubles au tout début de l'âge adulte. Pourquoi un tel rajeunissement? Plusieurs facteurs peuvent être avancés, qui sont tous liés à l'évolution de notre société. Il y a d'abord les troubles du sommeil, dont on sait qu'ils peuvent constituer des facteurs déclenchants. Or, chez les ados, les phénomènes d'addiction et l'utilisation excessive de jeux vidéo (la nuit surtout) diminuent à la fois la quantité et la qualité de sommeil.

 

Mais je voudrais aussi mentionner le manque de pratique sportive régulière, l'absence de limites posées par les parents, la consommation de plus en plus importante de viande rouge (qui excite le cerveau en favorisant la production de dopamine)... Autant d'éléments favorisant également l'apparition des troubles. Si l'on ajoute à cela des facteurs génétiques, qui multiplient les risques par 10, on conçoit aisément qu'ils surviennent de plus en plus tôt. Pour toutes ces raisons, je suis partisan d'inclure la notion de "tempérament" dans la classification des troubles de l'humeur. Cela permettrait en effet de sortir de la dichotomie simpliste entre "normal" et "pathologique" et de mettre l'histoire de la personne dans sa singularité au coeur d'une prise en charge globale et pas seulement médicamenteuse." 

Dr Elie Hantouche, "Les tempéraments affectifs", Ed. Josette Lyon, 380 p, 22 euros

Thierry Bougerol: "Un tiers de bipolaires non diagnostiqués ou mal pris en charge".

 

Le Pr Bougerol est responsable du pôle psychiatrie et maladies mentales au CHU de Grenoble. 

"Il y a certes un effet positif à la médiatisation de la bipolarité (Catherine Zeta-Jones l'évoquant à la télé américaine, Jim Carrey ou Sting faisant leur "coming out"...): les patients en parlent plus librement aujourd'hui, les médecins sont plus attentifs à ces troubles. Mais le revers de la médaille, c'est que la représentation sociale et culturelle de cette maladie rejette dans l'ombre d'autres diagnostics plus stigmatisants - je songe à la schizophrénie par exemple. 

En outre, en France en tout cas, le délai moyen entre l'apparition des premiers troubles et le diagnostic reste désespérément long: presque de dix ans en moyenne! Près d'un quart des malades ne sont pas diagnostiqués, et une partie non négligeable des autres reçoivent des traitements inadaptés, en particulier des antidépresseurs au long cours et à fortes dose qui, parfois, se révèlent inefficaces - ou carrément délétères. 

Il faut donc marteler ce message: la bipolarité est une pathologie "sérieuse", qui doit être prise en charge le plus tôt possible. Car derrière les "paillettes" de la "peopolisation", il y a des souffrances, des divorces, des pertes d'emploi, des suicides." 

Roland Gori: "Chaque époque a la pathologie qu'elle mérite"

Le Dr Roland Gori est professeur de psychopathologie et psychanlayste libéral à Marseille 

"Aujourd'hui, la bipolarité est considérée comme "le mal du siècle". Mais n'oublions pas qu'avant, il y eut la neurasthénie, l'hystérie, les "borderline", plus récemment les pervers narcissiques... Chaque société la pathologie qu'elle mérite, et il ne faudrait pas confondre ce que j'appellerais "la carte et le territoire" - le territoire renvoyant aux symptômes proprement dits et la carte, à la façon dont notre société intègre culturellement une pathologie. En ce sens, la façon de nommer une maladie est, aussi, le reflet de notre société: passer de la "psychose maniaco-dépressive" aux "troubles de l'humeur" n'est pas anodin... 

De fait, notre société actuelle incite au papillonnage, à la dispersion, à la réactivité immédiate. De ce point de vue, la bipolarité, surtout dans sa forme "mineure", c'est-à-dire avec des phases maniaques relativement gérables (même si tout est relatif!), s'inscrit dans son temps: elle permet une hypervigilance, elle favorise les échanges multiples, la créativité, la faible quantité de sommeil. Comme si on voulait à tout prix éviter l'émergence de sentiments négatifs (tristesse, deuil, mélancolie). Mais, la mélancolie justement, au sens où l'entendait la civilisation grecque, s'accompagnait d'un questionnement sur le sens, sur le "qu'est-ce que c'est qu'être un homme?" Rien de tel aujourd'hui où l'on valorise la réactivité, l'oubli, la fuite des idées. 

Il est pourtant essentiel de laisser la perte s'inscrire en soi, de lutter contre une civilisation de consommation continue et d'achats compulsifs. Je reprends là des concepts freudiens: le symptôme a un sens. il est, aussi, le lieu d'une mémoire, une tentative du sujet de se guérir lui-même. Pourquoi faudrait-il à tout prix effacer les frontières entre le normal, l'irrégulier et le pathologique? Bien sûr, quand il y a souffrance, l'éthique commande d'intervenir et d'aider le patient. Mais j'observe aussi qu'on ne peut pas prendre les mots pour des choses, ils ne sont que des "réalités transactionnelles", et la souffrance des patients s'exprime selon la culture d'une époque. Pour autant, le symptôme peut être considéré comme une forme de résistance à l'aliénation, à la volonté de contrôle et de normalisation de notre société, cette volonté que dénonçait, à juste titre, Michel Foucault." 

 

Dr Roland Gori, "La fabrique des imposteurs", Ed. Les liens qui libèrent, 320 pages, 21,50 euros,  

"Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux?" Ed. les liens qui libèrent, 142 p, 19,50 euros 

L’Express 04/04/2014

 

 



10/07/2017
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